Depuis sa prise de fonction en mars 2024 à la tête de l’Établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles, Christophe Leribault a entamé une phase de réorganisation à plusieurs niveaux. Conservateur général du patrimoine et historien de l’art, spécialiste du XVIIIe siècle, il succède à Catherine Pégard avec une approche clairement orientée vers la conservation, l’histoire critique et l’ouverture des usages.
Un chantier permanent
Dans un entretien accordé au Point, Christophe Leribault met en lumière un aspect souvent sous-estimé du site : son extrême complexité technique. « Je ne pensais pas que les toitures demanderaient autant de moyens et d’énergie », confie Leribault. La mise en conformité du corps central aux normes de sécurité incendie et climatiques représente un programme de cinq ans, avec des fermetures temporaires par roulement. Il s’agit de travaux lourds, peu visibles du public, mais essentiels à la préservation des lieux et des collections.
En parallèle, le château poursuit l’ouverture de zones rarement accessibles. Les espaces du XIXe siècle, aménagés sous Louis-Philippe, comme la galerie des Batailles ou la salle du Congrès, font partie des priorités. Plusieurs appartements, dont celui du président de la République sous la IIIe, ou encore celui du général de Gaulle au Grand Trianon, seront également remis en valeur.
Sur le plan financier, Versailles repose en grande partie sur ses ressources propres, qui assurent 75 % de son budget. Cette autonomie relative est rendue possible par la fréquentation touristique, les revenus des boutiques, de la restauration et les événements privés. Leribault insiste toutefois sur l’importance du mécénat, en particulier pour les opérations les plus coûteuses. Le contexte économique actuel rend ces partenariats plus difficiles à sécuriser.
Vers un renouveau du domaine
Au-delà de l’entretien matériel, Christophe Leribault engage une réflexion sur le statut muséal du site. Plusieurs dispositifs sont prévus pour renforcer la médiation et étendre la programmation. Une application mobile destinée à interagir avec les sculptures du parc sera lancée cet été. Un espace de réalité virtuelle a déjà été ouvert, permettant de visiter des lieux disparus du domaine.
Une initiative plus structurelle est en cours dans la zone dite de la Petite Venise, près du Grand Canal : la création d’un centre pédagogique en accès libre. Celui-ci mettra en valeur les savoir-faire des fontainiers et jardiniers, tout en servant de support de sensibilisation pour le grand public.
L’un des volets majeurs de cette transformation concerne le Campus Versailles, dédié aux métiers d’art. Situé dans la Grande Écurie et développé en partenariat avec CY Cergy Paris Université, le campus va tripler sa surface d’ici 2027. L’objectif est clair : faire de Versailles un lieu de formation et d’apprentissage autant qu’un espace de visite. Leribault parle d’« une vitrine des métiers d’art », en lien direct avec l’identité du château.
Gouvernance, diplomatie et mémoire
Leribault est le premier président de l’établissement à ne pas être issu d’un parcours politique. Il n’élude pourtant pas la dimension institutionnelle de sa mission. Versailles reste un lieu central dans la diplomatie française, comme le montre sa mobilisation lors du sommet Choose France. La décision du ministère de la Culture d’instaurer une tarification différenciée pour les visiteurs non européens à partir de 2026 est évoquée sans détour. 43 % des visiteurs du château viennent de l’extérieur de l’Union européenne. Selon lui, l’enjeu est d’assurer la viabilité du site tout en préservant la fluidité de l’accueil.
La question du surtourisme est traitée par une stratégie d’extension des espaces ouverts, et non par la limitation des flux. L’entretien évoque aussi les suites du rapport de la Cour des comptes, qui pointait en 2023 l’état des réserves et les modalités de gestion de la filiale Château de Versailles Spectacles. Leribault répond par des réformes concrètes : mise en place d’un comité stratégique, contrôle de gestion renforcé, réhabilitation de deux espaces satellites pour désencombrer les réserves principales.
L’approche de Leribault repose sur une lecture du château comme espace actif de mémoire, et non simple décor de visite. Il revendique l’idée que Versailles peut contribuer à interroger l’histoire nationale dans ses multiples dimensions. Il insiste sur la nécessité de rendre accessible une lecture complexe du passé, sans tomber dans la glorification ni dans l’anachronisme.
Il cite notamment la réouverture de salles consacrées à la conquête de l’Algérie, en lien avec une exposition sur le peintre Guillaume Bresson, ou encore le projet de restitution de galeries liées aux guerres européennes du XIXe siècle. À l’horizon 2026, un musée consacré à l’indépendance américaine ouvrira dans l’ancien appartement du comte de Vergennes. Cette programmation s’accompagnera, dès la rentrée prochaine, d’une académie d’histoire avec conférences publiques.
Leribault défend également la place de l’art contemporain au sein du domaine. Pour lui, cette présence n’est pas un simple effet de communication, mais un moyen d’interroger le patrimoine à travers des regards non patrimoniaux. « Le château doit rester vivant pour tous », résume-t-il. Ce principe guide aussi sa collaboration avec la ville de Versailles, dans une logique de dialogue institutionnel assumée.